15ème Congrès international des Archives
Rochat
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la faire aboutir. Tout ce matériel était donc contemporain des actions auxquelles il avait servi et qu'il avait
rendu possibles. Il s'agissait de pièces d'archives et de documents au sens courant de ces termes.
Il m'apparaît utile de mentionner, à propos de la définition de ces termes, que le mot archives renvoie à l'idée
d'autorité
. Ces idées sont en effet liées au statut que l'on donne
généralement à ce qui se trouve dans les archives, à savoir qu'il s'agit de documents faisant autorité. L'autorité,
dans la pièce d'archives, vient ainsi de sa qualité de document conservé, classé et répertorié.
Pour les pièces sur lesquelles j'avais travaillé avant de voir cet enregistrement vidéo, tout ceci allait de soi et
situait mon travail dans un cadre aussi clair que bien établi. Et en fait, c'est cette compréhension des choses que
j'avais en tête quand je m'intéressai à la possibilité de voir des témoignages enregistrés sur cassettes vidéo, que
j'entrepris les démarches pour avoir l'autorisation de les voir et que je commençai à les regarder. C'est
vraisemblablement dans cette compréhension des choses que se trouve l'origine des difficultés que j'ai
rencontrées au moment où je regardais le premier enregistrement vidéo de cette collection de témoignages.
Tout d'abord, au moment où je me suis intéressé à ces témoignages, les choses apparaissaient dans une
certaine continuité, c'est-à-dire que cet enregistrement vidéo était comme une pièce d'archives (avec un statut de
document et la valeur d'une pièce originale, unique, ou rare). Mais une fois en présence de ce témoignage
considéré dans la perspective de cette compréhension des choses, il m'est devenu très malaisé à appréhender et
je m'en suis trouvé déconcerté.
Archives et témoignages
Le témoignage donné par cet homme, qui répondait aux questions d'une personne qui l'interviewait, parlait
d'événements, d'actions et de sentiments liés à ce qui s'était passé quelques dizaines d'années avant la
réalisation de cet enregistrement vidéo. Aussi, voir ce témoignage comme une pièce d'archives en enlevait son
caractère distinctif, à savoir qu'il s'agissait des paroles d'une personne faisant le récit de son expérience passée
de témoin direct de la cruauté nazie à laquelle il avait assisté sans intervenir mais dans une grande agitation, se
demandant ce qu'il devait faire. C'était au fond dans le sens des paroles de cet homme que se trouvait l'essence
de son témoignage
Ce témoin avait été filmé de telle sorte qu'on le voie lui, en gros plan fixe, alors que la personne qui lui posait
des questions n'était pas visible et que l'on ne pouvait que deviner l'endroit dans lequel cet enregistrement avait
été réalisé. Tout portait ainsi à écouter ce témoignage en se concentrant sur ce que racontait cet homme qui
s'adressait, certes, à la personne qui lui posait des questions mais aussi, à travers elle, aux personnes intéressées
à entendre son témoignage. En écoutant ce que cet homme disait, j'assistais indirectement à cet entretien qu'il
avait donné et qui avait été destiné à être conservé et rendu, sous certaines conditions, public. Voilà qui était
très différent de ce que je faisais dans ces archives les jours précédents, et rien ne m'avait préparé à une telle
rupture dans mon travail; aucune introduction n'était à disposition pour la consultation de ces témoignages, et
rien ne laissait entendre ou ne suggérait, dans la manière dont ils étaient présentés, que des enregistrements de
cette sorte n'étaient pas des documents au sens traditionnel du terme.
D'ailleurs, la procédure d'admission à la consultation de cette collection de témoignages avait été en gros la
même que celle à suivre pour accéder aux autres pièces d'archives et le lieu où ces enregistrements pouvaient
être vus se trouvait dans le même bâtiment, de telle sorte qu'en ce qui concerne les repères extérieurs, les choses
semblaient ainsi se trouver dans une continuité qui ne faisait aucune difficulté et qui ne laissait en rien penser
qu'il s'agissait d'autres choses que de pièces d'archives. Pourtant, il était difficile de voir ce témoignage comme
un document et de l'étudier comme tel. Il aurait plutôt fallu être prêt à se mettre à l'écoute de ce que disait ce
témoin, à l'entendre et à être très attentif au sens de ses propos. Cela ne ressemblait pas à l'étude de documents
et demandait une disposition d'esprit bien différente.
Dans cette situation, c'était une réflexion sur le sens de cette parole témoignante qui était nécessaire, sur ce
qu'était un témoignage donné sous la forme d'un entretien enregistré en vidéo et destiné à être vu par d'autres
personnes. Car, au fond, ce qui est caractéristique de ce témoignage, comme des autres témoignages de ce
genre, c'est qu'ils donnent un certain sens aux événements et faits du passé, et c'est précisément ce sens dont les
témoins nous font part, à nous qui nous interrogeons sur le passé et sur leur passé. Nous aussi sommes à la
recherche de ce sens, et comme c'est précisément de lui que parlent les témoins, cela en fait nos interlocuteurs,
les personnes avec lesquelles nous qui sommes intéressés par ce passé, pouvons entrer en dialogue. Je
reviendrai plus loin sur les caractéristiques de ce dialogue et sur sa place dans les archives.
3
Voir LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1998, faisant état d'un lien entre archives et arkhê,
mot grec signifiant «autorité».
4
D'après le sens moderne du terme, « écrit servant de preuve ou de renseignement », donné dans LE ROBERT, Dictionnaire
historique de la langue française, Paris, 1998.
5
Pour une réflexion très éclairante sur la parole, on peut se rapporter à l'ouvrage de Georges Gusdorf, La parole, Presses
Universitaires de France, Paris, 1952, et plus particulièrement à son chapitre « La parole comme seuil de l'univers humain ».
