15ème Congrès international des Archives
Rochat
www.wien2004.ica.org
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D'un Possible Apport de la Psychologie aux Archives et à la Mémoire
François Rochat
Introduction
Il y a plusieurs années de cela, au cours d'une recherche effectuée dans une bibliothèque universitaire, je
regardais l'enregistrement vidéo des propos d'un témoin direct de la déportation d'un groupe de Juifs vers les
camps nazis. Cet homme avait assisté aux souffrances insoutenables que causait cette action de déportation,
comme à la cruauté avec laquelle ces femmes, hommes et enfants étaient traités.
La réflexion qui sera développée ici trouve son origine dans ma réaction à ce témoignage devant lequel je me
suis retrouvé très désemparé.
Si je me permets de faire état d'une de mes premières expériences de chercheur dans des archives et de
recourir ainsi à une expérience personnelle, c'est qu'elle m'a amené à m'interroger sur ce qui se passait, dans les
archives, entre la personne qui cherche quelque chose et ce qui se présente sous ses yeux et à ses oreilles. Cette
interrogation est, il est vrai, de nature psychologique, puisqu'elle porte sur les aspects cognitifs et affectifs de la
perception des choses, en l'occurrence du matériel contenu dans les archives, de leur intelligence et de leur
réception par la personne concernée dans le contexte de son activité au sein des archives. Pour le dire en
d'autres termes, il en va, dans les archives, du voir, du sentir et du comprendre de la personne face aux
documents qu'elle consulte et à leur présentation. À cet égard se pose plus précisément la question suivante :
quel est le rôle de la réaction subjective de la personne face au matériel qu'elle consulte et comment cette
réaction influence-t-elle la compréhension qu'elle en développe? Que les archives soient un lieu où l'on
éprouve des émotions, et parfois avec intensité, atteste du fait que la rencontre avec le passé, ou avec des
témoignages concernant ce passé, est une expérience humaine qui peut être profonde et marquante, mais c'est un
aspect du travail dans les archives que l'on ne mentionne que rarement et que l'on néglige généralement de
prendre en considération
Ayant pu rencontrer des témoins de l'Holocauste et parler avec eux, j'ai retrouvé, quoique sous un angle
différent, cette même question. Je n'étais plus alors dans la situation de la personne travaillant dans des
archives, c'est-à-dire face à du matériel déjà collecté et conservé, mais dans la situation de la personne pouvant
récolter du matériel susceptible d'être par la suite déposé et consulté dans des archives. Aussi me suis-je
demandé, dans cette situation, quelle pouvait être une bonne manière de m'entretenir avec ces témoins de la
Shoah dans l'optique de les écouter du mieux que je le pouvais et de retenir le plus fidèlement possible ce qu'ils
me disaient?
Sous un angle encore différent, cette question s'est à nouveau posée à moi lorsqu'il s'est agi de savoir
lesquelles précisément, parmi les données que j'ai pu recueillir, je pourrais déposer dans des archives.
Une expérience personnelle dans les archives
En quelques mots, cette expérience personnelle dans les archives a été la suivante. Je faisais une recherche sur
les personnes qui, durant la période de domination du nazisme, avaient protégé des Juifs contre les actes de leurs
persécuteurs et leur étaient venus en aide. Pour ma recherche, il était notamment important de trouver des
données susceptibles de me permettre de saisir quelles étaient les différences entre les personnes qui n'avaient
rien fait pour aider les victimes des persécutions nazies et les personnes qui avaient fait quelque chose pour aider
ces victimes. C'est la raison pour laquelle je regardais des enregistrements vidéo de gens parlant de leurs
actions passées, les uns ayant aidé des Juifs mis en danger du fait de l'apparition, puis de la systématisation des
persécutions raciales à leur encontre, les autres ne l'ayant pas fait. Et c'est avec le témoignage d'un homme
étant resté inactif devant la souffrance de personnes persécutées que j'ai commencé à étudier ces enregistrements
que l'on avait mis à ma disposition dans une petite salle réservée à cet effet.
Les conditions pour travailler étaient idéales et cependant j'ai été incapable, dans un premier temps, de passer
à l'étude de cet enregistrement, me sentant égaré face au matériel que l'on avait mis à ma disposition, comme
abandonné, ne sachant pas comment le considérer et l'appréhender. Je travaillais pourtant depuis quelques
semaines dans ces archives et mes recherches progressaient, mais c'était le premier enregistrement de cette sorte
que je voyais. Les jours précédents, j'avais travaillé sur des textes, du film et des photographies, des
enregistrements audio, à la différence toutefois qu'il s'agissait de documents ayant eu une fonction précise, de
pièces d'origine ayant permis la réalisation d'un projet, de matériel ayant été utilisé pour conduire une action et
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Ce texte est la version française de l'exposé «Psychology, Archives, and Memory» qui sera donné en anglais au Congrès
International des Archives 2004, Vienne, Autriche, le mercredi 25 août 2004, lors de la séance « Collecting, Organizing,
Analyzing and Preserving the Holocaust Experience - Professional Programme - 1. ARCHIVES AND MEMORY ».
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Ce n'est toutefois pas le cas de l'historienne Natalie Zemon Davis qui parle avec finesse de cet aspect aussi de ses
recherches dans les archives, dans son livre d'entretiens avec l'historien Denis Crouzet, L'histoire tout feu tout flamme, éd.
Albin Michel, Paris, 2004.