15ème Congrès international des Archives
James-Sarazin
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ensemble patrimonial autonome et d'autre part, un lieu constitue l'une des originalités du Musée des Archives et
explique en partie que le législateur de 1867 n'ait pas ressenti la nécessité d'accompagner d'un texte, loi ou
décret, sa création. Point d'aboutissement des efforts de collecte, de classement et d'inventaire des Archives de
l'Empire, le Musée du marquis de Laborde se comprend en effet dès l'origine comme l'incarnation vivante de
cette institution : l'un ne peut aller sans l'autre.
Dans l'esprit du marquis qui prend la tête des Archives de l'Empire en 1857, la création d'un Musée est
indissociable des autres volets de son grand dessein : ouvrir une salle de lecture digne de ce nom, où l'on puisse
commodément consulter les documents ; publier des inventaires précis à l'image de ceux du Trésor des Chartes
et du Parlement ; assurer une meilleure conservation des documents par la construction de magasins d'archives,
les Grands Dépôts, qui prolongent l'oeuvre entreprise par Louis-Philippe ; restaurer les salons de l'hôtel de
Soubise, les rendre à la visite et en faire l'écrin des trésors documentaires des Archives ; relayer l'enseignement
théorique dispensé à l'École des chartes en offrant aux élèves la possibilité de fréquenter régulièrement les
documents originaux. Une telle conjonction de missions scientifique, civique, patrimoniale, éducative en un
seul lieu n'est pas rare : elle est au XIX
e
siècle le lot commun de maintes institutions culturelles, et
particulièrement des musées.
Prévue pour le 15 août 1862, l'ouverture du Musée est repoussée sine die, jusqu'au 19 juillet 1867, date de son
inauguration. Ce retard s'explique moins par des difficultés matérielles et notamment financières comme on
pourrait le penser, que par le soin scrupuleux avec lequel Laborde et ses collaborateurs travaillent à la définition
du parcours (strictement chronologique et par dynasties) et au choix des documents. Celui-ci nécessite en effet le
repérage des actes, leur extraction de leur série d'origine puisqu'il s'agit au mépris de la règle élémentaire du
respect des fonds, de créer une collection factice d'exempla rattachés au Musée, avec sa cotation et sa logique de
classement propres , enfin leur description. Le Musée de 1867 est dit « Musée français » (AE II), car n'y sont
exposés que des documents produits par des personnalités ou des institutions françaises et qui n'intéressent que
le territoire national. Mais Laborde compte bien lui adjoindre un « Musée étranger » (AE III), dont la tâche serait
d'illustrer le rayonnement français à l'étranger ainsi que la politique diplomatique, militaire et coloniale de la
France. Il n'en demeure pas moins second en importance comme en enjeu par rapport au « Musée français »
auquel son statut d'annexe, son implantation et son étendue le subordonnent. Amplifié, le « Musée
sigillographique » (AE IV) de Letronne est confié à Douët d'Arcq et à Demay.
Jusqu'à la Seconde guerre mondiale, aucune modification ne bouleverse vraiment le parti pris général de
Laborde. En 1878, l'annexion du rez-de-chaussée de l'hôtel entre enfin dans les faits: Le directeur général des
Archives devenues nationales, Alfred Maury, le voue comme prévu, à l'exposition des documents « étrangers »,
des plans et des moulages de sceaux. En 1891-1893, une première réduction affecte le nombre d'actes présentés :
sur les 1800 numéros de la présentation originelle, on n'en garde que 600 ; en outre, les papyrus originaux des
époques mérovingienne et carolingienne sont définitivement remplacés par des fac-similés. Durant la Première
guerre mondiale, « Musée français » et « Musée étranger » sont réunis au premier étage ; l'armistice permet de
réinvestir tout l'hôtel, mais on en profite pour procéder à une deuxième réduction. C'est à cette époque que la
salle Empire accueille les pièces à conviction des grands procès criminels (AE V). À la veille de la Seconde
guerre mondiale, le Musée des Archives fait sa mue et prend le nom de « Musée de l'histoire de France » ; le
nombre de numéros est encore réduit, le parcours est repensé, les objets historiques (AE VI) font une apparition
timide à côté des documents écrits et la section sigillographique se voit adjoindre une section héraldique.
L'innovation la plus notable réside cependant dans la création d'une section contemporaine qui met en scène
l'histoire nationale depuis la fin du Premier Empire jusqu'à l'été 1914.
Sous le Second Empire, la vigueur de l'érudition dans les années 1840-1850 ainsi que les progrès de
l'école positiviste ont rendu caduques les conceptions qui avaient guidé Louis-Philippe à Versailles. À l'inverse,
le musée des Archives se veut « une sorte d'histoire de France où ce n'est plus l'écrivain [ou l'artiste] qui fait
part de ses impressions et se met à la place des grandes figures historiques, mais où les actes parlent eux-
mêmes ». On invoque comme figures tutélaires, les Bénédictins de Saint-Maur, promoteurs de cette science toute
française qu'est la diplomatique et dont le héros national est Mabillon. Les documents retenus obéissent à deux
objectifs : d'une part, présenter ce que Laborde appelle un « abrégé des preuves de l'histoire de France » à
travers les « monuments écrits de la Patrie », c'est-à-dire à travers les documents fondateurs de la conscience
nationale ; d'autre part, rendre sensible l'évolution de l'écriture, des supports et des conventions diplomatiques.
Qu'ils fassent référence à des événements (mariages, guerres, traités de paix, édits célèbres) et à des personnages
considérables (rois, reines, papes, empereurs, maréchaux, écrivains, artistes) ou qu'ils échappent au tout venant
par les particularités de leur rédaction et de leurs formules, ces documents frappent avant tout par leur caractère
d'exception. Le Musée des Archives reste donc fidèle à cette « culture des singularités » qui fait du musée du
XIX
e
siècle, quoique cette dimension tende à s'effacer progressivement, l'héritier du cabinet de curiosités de
l'Ancien Régime. En outre, les intentions qui l'animent empruntent beaucoup au musée de Beaux-Arts : non
content d'être investies d'une sorte de transcendance, les oeuvres exposées jouent sur toutes les cordes de
l'émotion : dévotion, admiration, effroi, horreur, réprobation, compassion. C'est autant au coeur qu'à la raison du